Vulgarisation : une introduction aux cristaux phononiques

Introduction

Résumé – En structurant périodiquement la matière, il est possible d'empêcher les ondes acoustiques de se propager, mais aussi de les confiner ou de leur faire suivre les chemins les plus détournés à l'échelle de la longueur d'onde. Ces objets artificiels imitant la structure des cristaux naturels pourraient mener à la conception de véritables circuits phononiques.

© Vincent Laude, Abdelkrim Khelif et Sarah Benchabane
FEMTO-ST/MN2S, groupe Phononique et Microscopies

Article de vulgarisation initialement écrit en 2010. Révisé en 2014 et 2019.

Imaginez une forêt dans laquelle des arbres seraient plantés suivant un plan régulier parfaitement périodique. Dans cette forêt, le diamètre des troncs varie fort peu d'un arbre à ses voisins et la distance qui les sépare est partout rigoureusement la même. La structure périodique bidimensionnelle que forment les arbres est intuitivement similaire à l'arrangement parfaitement ordonné des atomes dans un cristal, pour peu que l'on fasse abstraction de la différence d'échelle. Un promeneur suivant un chemin tracé dans cette forêt aurait la surprise de constater que les sons lui parviennent déformés. Plus précisément, d'un orchestre jouant à proximité, il entendrait distinctement les sons graves des contrebasses ou les sons aigus des violons, mais s'apercevrait que toute une partie du spectre sonore entre ces deux extrêmes manque à l'appel ! Cette atténuation d'une certaine bande de fréquence est la signature de l'existence d'une bande interdite pour le son, elle-même conséquence de l'arrangement périodique des arbres. Une telle forêt est un exemple de ce que les physiciens nomment un cristal phononique.

Fig. 1 – Une sculpture sonore d'Eusebio Sempere. Les cylindres d'acier d'un diamètre de 2,9 cm sont espacés périodiquement de 10 cm suivant un réseau carré. L'ensemble présente des bandes interdites pour les ondes sonores autour d'une fréquence de 1670 Hertz.

Un autre exemple fortuit de cristal phononique est fourni par une sculpture minimaliste de Eusebio Sempere (1923-1985) qui se trouve dans un jardin madrilène (Fig. 1). Cette sculpture est constituée d'un agencement périodique bidimensionnel de tubes d'acier. En 1995, Francisco Meseguer et ses collègues en ont déterminé expérimentalement les propriétés de filtrage sonore, en disposant des microphones autour de la sculpture. Leurs mesures ont montré l'atténuation de certaines fréquences, ce qu'aucun phénomène d'absorption ne peut expliquer, les tubes d'acier étant excessivement raides et se comportant comme des diffuseurs très efficaces pour les ondes sonores. L'explication est ailleurs et réside dans les interférences entre les multiples ondes diffusées par les tubes d'acier. Du fait de la disposition périodique de ces tubes, ces interférences peuvent être constructives ou destructives suivant la fréquence des ondes. Dans le cas où les interférences sont destructives, on parle de bande interdite car les ondes acoustiques sont rapidement atténuées à la traversée du cristal phononique, et ce d'autant plus que celui-ci est épais.

L'idée qu'une structuration périodique à deux ou à trois dimensions d'un matériau peut agir très fortement sur les propriétés de propagation des ondes acoustiques n'est pas très ancienne. En effet, on situe généralement sa naissance au début des années 1990, avec la parution d'articles de Sigalas et Economou à l'Université de Heraklion en Crête d'une part, et de Kushwaha, Halevi, Dobrzynski et Djafari-Rouhani à l'Université de Lille d'autre part. Ce concept de cristal phononique a suivi de près l'introduction en 1985 du concept de cristal photonique dans le domaine des ondes optiques et électromagnétiques. Cristaux photoniques et phononiques partagent de nombreuses analogies, à commencer par le fait que du point de vue de la physique classique tous deux peuvent être vus comme agissant sur la propagation des ondes. Dans une description particulaire ou quantique, le phonon est une vibration élastique élémentaire d'un morceau de matière, tout comme le photon est une particule élémentaire de lumière.

Dans la suite de cet article, nous allons tenter de décrire ce que sont les cristaux phononiques et quelles applications prospectives les physiciens ont en tête pour eux. En décrivant un domaine de recherche en pleine ébullition et en évolution permanente, nous courrons le risque que notre vision résiste mal au temps et que certaines perspectives ne restent que pure science-fiction. Mais la tentation de mettre le son en cage reste la plus forte !

Ondes acoustiques et élastiques

Avant de parvenir au cœur de notre sujet, rappelons quelques idées générales sur les ondes acoustiques et élastiques. Ces ondes font partie de notre expérience quotidienne et de notre environnement le plus immédiat. Les ondes sonores se propagent dans l'atmosphère. Elles véhiculent la parole humaine et nous informent sur ce qui nous entoure. Les ondes acoustiques sont utilisées dans des domaines aussi variés que l'imagerie échographique du corps humain, la détection et la localisation d'objets sous-marins (le sonar), l'étude des séismes et des mouvements de l'écorce terrestre. Les quartz de nos montres utilisent des résonances particulières des cristaux, qui sont liées aux ondes acoustiques qui s'y propagent. Nos téléphones portables et nos télévisions comportent des filtres électroniques exploitant des ondes acoustiques à haute fréquence dans des cristaux synthétiques exotiques, tels le tantalate de lithium. Toutes les ondes acoustiques sont composées de vibrations progressives des atomes composant le milieu de propagation. Dans un solide par exemple, les atomes sont contraints de rester en moyenne autour de leur position d'équilibre, et l'onde se propage en mettant en mouvement une succession de plans cristallins. On parle dans ce cas volontiers d'ondes élastiques. Les vitesses mises en jeu sont de l'ordre de quelques milliers de mètres par seconde en général. Elles peuvent atteindre jusqu'à 20000 m/s dans le diamant par exemple. Dans le cas des ondes sonores, dans l'air, ou des ondes acoustiques, dans l'eau, les atomes du fluide ne sont pas assujettis à rester en une position donnée de l'espace, mais l'onde représente toujours un mouvement collectif se communicant d'atome en atome dans une direction donnée. Les vitesses mises en jeu sont de l'ordre de 340 m/s dans l'air et de 1480 m/s dans l'eau dans des conditions standard.

Le schéma de la figure 2 indique les principales applications des ondes sonores, acoustiques et élastiques en fonction de la fréquence des signaux employés. La fréquence (dont l'unité est le Hertz) est une mesure directe du nombre d'oscillations par unité de temps, donc par seconde.

Domaines fréquentiels des ondes acoustiques

Fig. 2  Domaines fréquentiels des ondes acoustiques

Qu'est-ce qu'un cristal phononique ?

Le concept de cristal phononique doit beaucoup à la cristallographie. Cette branche de la physique a pour objet l'étude des états les plus ordonnés de la matière solide. Les atomes des cristaux forment des réseaux périodiques tridimensionnels. Dans un cristal, les distances inter-atomiques sont typiquement de l'ordre d'un angstroem (un dix milliardième de mètre). Les dimensions mises en oeuvre dans les cristaux phononiques, structures artificielles créées par la main de l'homme, sont beaucoup plus importantes. Elles vont de quelques mètres pour les plus imposantes à cent nanomètres. A cette échelle, la matière apparaît comme continue et les lois de la mécanique classique peuvent être employées avec une bonne confiance. L'idée du cristal phononique est de fabriquer un matériau artificiel structuré périodiquement, par exemple par assemblage de au moins deux matériaux différents. Intuitivement, plus les propriétés acoustiques des matériaux mis en jeu sont contrastées, plus les phénomènes d'interférence d'onde sont importants.

Réseau carré     Réseau triangulaire

Fig. 3  (a) Réseau carré. (b) Réseau triangulaire.

Un cristal phononique est essentiellement constitué d'inclusions placées périodiquement dans une matrice. Dans le cas d'un cristal phononique bidimensionnel, les inclusions sont des cylindres de section quelconque que l'ont peut disposer par exemple suivant un réseau carré ou triangulaire (Fig. 3). Les inclusions peuvent aussi être composées d'un matériau différent de celui de la matrice qu'être de simples trous. L'essentiel est que la diffusion des ondes acoustiques sur ces inclusions soit très efficace.

La notion de bande interdite peut être comprise en se représentant les interférences des ondes multiplement diffusées dans le cristal phononique. Considérons tout d'abord le cas d'un diffuseur unique : la fraction de l'onde incidente qui voit le diffuseur est dispersée dans tout l'espace mais semble provenir d'un point source unique. Quand un ensemble de diffuseurs est réparti de façon périodique, les ondes sont très fortement diffusées d'un obstacle à l'autre, si bien qu'elles finissent par remplir tout l'espace disponible et se propagent dans toutes les directions possibles. Elles interfèrent constructivement ou destructivement suivant la fréquence de l'onde incidente et la géométrie du cristal phononique. Une bande interdite apparaît quand les ondes diffusées interfèrent destructivement dans une direction donnée de sorte que leur résultante décroisse à la traversée du cristal phononique.

Cristal phononique millimétriqueCristal phononique millimétrique

Fig. 4  Cristaux phononiques millimétriques.

L'idée fondatrice que Kushwaha et ses collègues de l'Université de Lille ont proposé en 1993 est qu'il est possible que la bande interdite existe quelle que soit la direction de propagation. On parle dans ce cas de bande interdite complète. Un cristal phononique présentant une bande interdite complète se comporte comme un miroir parfait, réfléchissant toutes les ondes incidentes. En effet, les ondes incidentes sur le cristal phononique ne peuvent y pénétrer et n'ont d'autre choix que de faire demi-tour. Suivant le même argument, un transducteur (ce terme désigne aussi bien une source d'émission qu'un détecteur d'ondes acoustiques) complètement entouré d'un cristal phononique très épais reste parfaitement sourd à toutes les sources d'ondes extérieures. Il n'en reste pas moins que ces propriétés extraordinaires ne sont vraies que pour les fréquences qui sont exactement dans la bande interdite complète. Pour toutes les autres, les interférences destructives sont contrebalancées par les interférences constructives et les ondes sont transmises au moins partiellement.

Un certain nombre de règles générales ont pu être dégagées ces dernières années par les chercheurs afin de préciser les conditions dans lesquelles les phénomènes de bandes interdites sont observés. Ainsi, ceux-ci apparaissent quand la longueur d'onde (soit la période de répétition spatiale de l'onde) est de l'ordre de la période spatiale du cristal phononique. Le contraste de vitesse acoustique et le contraste de densité entre les inclusions diffusantes et la matrice de propagation sont les paramètres qui conditionnent principalement la largeur des bandes interdites. Les inclusions dont la forme privilégie le caractère isotrope de la diffusion sont préférables, par exemple les cylindres ou les sphères. Il convient également de bien ajuster la taille de ces inclusions par rapport à la période du réseau. Par ailleurs, tous les réseaux périodiques ne sont pas équivalents. Par exemple, pour les structures bidimensionnelles comme la sculpture de Sempere formée de tiges d'acier mentionnée plus haut, le réseau carré se révèle plus propice à l'ouverture des bandes interdites que le réseau triangulaire. Dans le cas des réseaux tridimensionnels, des empilements de sphères lourdes (comme l'acier ou le plomb) prises dans une matrice légère (air, eau ou résine époxidique) imitant la structure du diamant (c'est-à-dire des atomes de carbone arrangés suivant un réseau cubique à faces centrées) fournissent de larges bandes interdites complètes (Fig. 4). Cependant, l'exploration de toutes les possibilités offertes par le choix de l'arrangement périodique, des matériaux composants la matrice et les inclusions diffusantes, et de la forme de ces inclusions, est loin d'être complète et occupera les chercheurs de longues années encore.

Des applications pour les cristaux phononiques ?

Le concept de cristal phononique est bien trop récent pour s'être déjà imposé dans des objets de la vie courante. Ses applications sont à l'heure actuelle purement spéculatives, mais nous allons tenter d'en décrire quelques unes. La première application qui a été suggérée par Kushwaha et ses collègues est celle de l'isolation sonore. En effet, nous avons vu que pour toutes les fréquences contenues dans une bande interdite complète, un cristal phononique se comporte comme un véritable bouclier, renvoyant toutes les ondes qui le frappent. C'est ainsi qu'il est parfaitement possible de concevoir des murs anti-bruit pour les autoroutes qui fonctionnent suivant ce principe. Il est alors nécessaire d'isoler l'espace qui se trouve derrière le mur de tout ou partie des fréquences sonores. Dans une telle application, les périodicités mises en jeu sont de l'ordre du mètre, et tout le jeu de la conception réside dans la possibilité de diminuer cette dimension sans que la bande de fréquence couverte soit trop élevée, l'oreille humaine étant sensible aux fréquences sonores comprises entre 20 et 20000 Hertz typiquement.

Une seconde application potentielle des cristaux phononiques, peut être moins intuitive a priori est la réalisation de brise-vagues. En effet, les vagues de nos mers et océans peuvent être comprises comme des ondes se propageant à la surface de l'eau (c'est d'ailleurs là le sens étymologique du mot onde). Quand les vagues heurtent un obstacle elles sont partiellement diffusées dans toutes les directions. Les interférences résultant de ces diffusions multiples sur un réseau d'obstacles pourraient ainsi conduire à une réduction importante de l'amplitude des vagues venant se briser sur un rivage. Il s'agirait ainsi de disposer périodiquement des pylônes ancrés dans le fond marin afin de créer un havre de paix derrière cette barrière paradoxalement occultante alors qu'elle est ajourée. Hu et Chan de l'Université de Technologie de Hong-Kong ont de plus proposé en 2005 que de telles structures puissent être utilisées pour focaliser les vagues vers une usine, ce qui pourrait permettre de convertir leur énergie mécanique en énergie électrique. Sur ce dernier point bien-sûr, tout reste encore à démontrer !

Cristal phononique pour les ondes de surface

Fig. 5  Cristal phononique constitué de trous dans une plaque de silicium. Les trous ont un diamètre de 6 microns et sont profonds de 100 microns. Un tel cristal phononique présente une bande interdite complète autour de 500 MHz.

Nous pensons pour notre part que c'est à l'échelle microscopique que les cristaux phononiques ont le plus de potentiel. Pour des périodicités de quelques microns ou moins, les bandes interdites apparaissent pour des fréquences de quelques centaines de MHz ou de quelques GHz, en plein dans le domaine des communications sans fil (Fig. 5). De nouveaux composants mariant microélectronique et ondes acoustiques pourraient voir le jour et étendre les capacités des téléphones portables et des réseaux sans fil, par exemple. Un point essentiel est que les principes des cristaux phononiques s'expriment de la même façon quelle que soit l'échelle choisie pour leur réalisation, seules les fréquences de fonctionnement changent. Cette propriété fondamentale a deux conséquences importantes. La première est que les concepts des cristaux phononiques peuvent être démontrés à l'échelle, c'est-à-dire avec des structures dont les dimensions sont relativement grandes, donc facilement accessibles. La seconde conséquence est qu'avec le développement des micro et des nanotechnologies, des cristaux phononiques de plus en plus petits peuvent être réalisés par des procédés qui ressemblent à ceux de la microélectronique, employés par exemple pour la réalisation des microprocesseurs de nos ordinateurs. La microélectronique a débuté il y a cinquante ans, la photonique suit depuis une vingtaine d'année et arrive à maturité ; l'avenir dira si la nanophononique pourra suivre ces exemples prestigieux.

Le son en cage

               

Fig. 6  (a) Un miroir parfait. (b) Une cavité phononique.

Un cristal phononique présentant une bande interdite complète est un piège théoriquement parfait pour toutes les ondes générées en son sein (Fig. 6). Ainsi, si une source d'ondes acoustiques est placée au centre d'une cavité phononique, l'énergie émise est piégée indéfiniment car elle est incapable de s'en échapper. En pratique, il existe cependant des imperfections qui conduiront à de légères fuites ; de plus, un cristal phononique infini ne pouvant être construit par la main de l'homme, le piège ne peut être parfait. Si la source d'onde est maintenant placée en dehors du cristal phononique, il sera possible de transférer un peu d'énergie acoustique vers le piège central. Ce transfert ne peut cependant avoir lieu de manière efficace que pour certaines fréquences très précises : les fréquences de résonance de la cavité phononique. Un tel objet permettant de produire une fréquence très pure est appelé un résonateur. Les résonateurs acoustiques fabriqués dans des cristaux de quartz sont aujourd'hui largement employés pour la réalisation d'horloges ultra-stables. L'avenir dira si les cristaux phononiques pourront apporter un progrès dans ce domaine en améliorant le confinement des ondes.

La cavité que nous venons de décrire est de fait un défaut du cristal phononique. En choisissant une organisation appropriée d'une succession de défauts, il devient possible de contraindre les ondes à suivre un chemin déterminé, ce qu'on appelle un guide d'onde. En effet, les ondes incidentes à l'entrée du guide n'ont d'autre choix que de suivre la direction des défauts, car toute autre direction est interdite dans le cristal phononique. Il est ainsi loisible de définir des chemins relativement arbitraires, pourvu que les différentes branches restent toujours séparées par une épaisseur suffisante de cristal phononique. Il est en particulier possible de réaliser des guides d'onde fortement coudés, mais également des systèmes de multiplexage et de distribution de canaux. Cette possibilité ouvre la voie vers la circuiterie phononique, c'est-à-dire la possibilité de distribuer et de diriger l'énergie acoustique en de multiples points de l'espace. Les applications potentielles concernent le traitement des signaux pour les télécommunications mais également l'acheminement des ondes acoustiques dans les systèmes d'imagerie échographique ou de thérapie par ultrasons.

      

Fig. 7  (a) Guide phononique droit. (b) Guide phononique par couplage. (c) Guide phononique coudé.

Des guides d'onde très efficaces peuvent être ménagés dans un cristal phononique. Par exemple, la figure 7 montre une simulation numérique de la propagation des ondes acoustiques le long d'un guide d'onde droit ménagé en ôtant une ligne complète de périodes d'un cristal phononique. Pour toutes les fréquences dans une bande interdite complète, les ondes incidentes à l'entrée du guide n'ont d'autre choix que de suivre la direction des défauts, car toute autre direction est interdite dans le cristal phononique. Dans l'exemple de la seconde image, un guide d'onde a été ménagé en ne retirant d'une inclusion sur deux le long d'une ligne. Dans ce cas, la progression des ondes se fait par couplage successif de défaut à défaut et fait intervenir des ondes évanescentes, c'est-à-dire des ondes qui n'existent que dans le voisinage immédiat de la source qui leur donne naissance et lui restent attachées. Il est loisible de définir un chemin relativement arbitraire, pourvu que les différentes branches restent toujours séparées par une épaisseur suffisante de cristal phononique. Il est en particulier possible de réaliser des guides d'onde fortement coudés, comme l'illustré la troisième image.

Les bandes interdites complètes ne sont pas les seuls attraits des cristaux phononiques. Ainsi que nous l'avons discuté plus haut, la propagation à travers un cristal phononique est fortement dispersive, c'est-à-dire que les propriétés des ondes dépendent fortement à la fois de la fréquence et de la direction de propagation. Un cristal phononique est ainsi un matériau artificiel, ou méta-matériau, doté de propriétés que ses constituants initiaux ne contenaient pas. En choisissant convenablement la constitution de la période élémentaire, il est possible de régler les propriétés du méta-matériau dans une très large gamme. Zhang et Liu à l'Université de Wuhan en Chine, d'une part, et Yang et ses collègues de l'Université du Manitoba au Canada, d'autre part, ont montré en 2004 que des lentilles acoustiques artificielles pouvaient être conçues sur cette base. Ces lentilles d'un genre nouveau permettent même d'obtenir une réfraction négative. Cette propriété de réfraction négative ne peut être apportée par aucun matériau conventionnel ; elle correspond à la possibilité intrinsèque de focaliser des faisceaux initialement divergents qui sont incidents sur une interface plane.

Photons et phonons

Nous avons mentionné en introduction que les cristaux phononiques ont beaucoup en commun avec les cristaux photoniques. Si les fréquences optiques (de l'ordre de quelques centaines de Terahertz) sont nettement plus élevées que les fréquences acoustiques, il est parfaitement possible d'accorder leurs longueurs d'onde, autour d'une valeur de un micron par exemple. Ainsi, une même microstructure périodique peut être simultanément un matériau à bande interdite photonique et phononique, ce qui conduit au concept du cristal phoXonique (un barbarisme dans lequel le « X » remplace indifféremment un « t » ou un « n »). L'intérêt d'un tel cristal artificiel est de fournir la possibilité de confiner simultanément l'énergie optique et l'énergie acoustique dans un volume extrêmement réduit, dans la perspective d'exalter les interactions entre ces deux types d'ondes.

L'interaction acousto-optique a déjà une longue histoire, puisqu'elle est née au début du siècle dernier. Des modulateurs acousto-optiques sont utilisés dans de multiples applications, notamment pour le balayage de faisceaux laser, à commencer par les effets laser des discothèques ! Mais l'étude des interactions entre ondes optiques et acoustiques dans des microstructures attire de plus en plus l'attention des chercheurs. Par exemple, avec des collègues des Universités de Erlangen en Allemagne et de Campinas au Brésil, nous avons très récemment étudié l'effet Brillouin dans des fibres optiques microstructurées également appelées fibres photoniques. Cet effet, découvert par le physicien français Léon Brillouin en 1922, désigne la diffusion inélastique d'un photon par un phonon. Nous avons identifié certains phonons acoustiques guidés par un coeur solide de dimension micrométrique d'une fibre photonique qui interviennent préférentiellement dans l'effet Brillouin.

   

Fig. 8  (a) Section d'une fibre photonique (b) Phonon acoustique Brillouin

Une fibre photonique est une fibre optique percée de trous de taille micrométrique qui courent le long de l'axe de la fibre sur des centaines de mètres, voire des kilomètres. L'exemple de la figure 8 montre la section d'une telle fibre en silice fabriquée à l'Université de Bath en Angleterre et observée au microscope électronique à balayage. Le coeur central de cette fibre optique est l'équivalent d'un barreau de verre d'un diamètre de 1,2 microns, soit le centième du diamètre d'un cheveu. Il a pour fonction de transporter l'énergie lumineuse sur de très longues distances. Comme nous l'avons montré récemment, une telle fibre photonique est également un excellent piège à phonons. L'image ci-contre représente l'énergie d'un phonon acoustique guidé par un effet de bande interdite phononique le long du coeur de la fibre. Un tel phonon est impliqué dans l'effet Brillouin stimulé, un effet acousto-optique non linéaire qui limite la puissance lumineuse qui peut être transportée le long d'une fibre optique et qui a donc un fort impact économique dans le domaine des télécommunications.

Conclusion

Les perspectives de recherche et d’application sont riches, nombreuses et motivantes pour une thématique qui a émergé au début des années 1990. Il peut paraître surprenant qu’une technologie fondée sur les interférences d’onde se déploie si tardivement. Cependant, la quantité de paramètres à traiter nécessite une conceptualisation théorique importante, des programmes de simulation avides en temps de calcul, et enfin des technologies de type « salle blanche » pour réaliser les échantillons. Ce n’est que maintenant que les équipements et connaissances des laboratoires peuvent répondre à ces besoins. Les recherches sur les cristaux phononiques sont encore pour l'essentiel consacrées à l'exploration des propriétés singulières de ces matériaux artificiels et à des démonstrations de principe. Nous parions cependant que les années à venir verront apparaître les premiers composants exploitant les bandes interdites acoustiques pour le traitement de l'information. Sur le plan fondamental, l'exploitation du confinement simultané des photons et des phonons dans les cristaux phoXoniques n'a pas encore livré tous ses secrets et représente une voie privilégiée de recherche.

N'hésitez pas à nous contacter pour plus d'informations.

V. Laude, A. Khelif, S. Benchabane